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#11 - Ma liberté de marcher

Photo du rédacteur: Jeremie GaillardJeremie Gaillard

640 kilomètres parcourus à pied entre ma commune de Gironde : Caudrot, et la capitale de notre pays : Paris.


Pendant 18 jours, au-delà du poids de mon sac à dos, j’ai fait le choix de porter les doléances des habitants que je représente pour réclamer à l’Etat la même exigence dans l’exercice de ses missions que celle imposée aux collectivités dans l’application de ses directives. A cela s’ajoutait la volonté de mieux faire comprendre aux administrés la complexité de cette fonction de maire et remettre un peu de tolérance, de pédagogie, de proximité et modestement d’espoir dans la vision qu’ils pouvaient en avoir.


J’ai mené ce projet pour et à destination des habitants de la commune dont je suis maire, sans jamais m’écarter de cette ligne de conduite. L’audience s’est certes élargie à ceux qui le souhaitaient, mais sans prosélytisme ou stratégie sous-jacente d’utiliser la médiatisation comme levier de celui qui aurait l’ambition de monter les échelons.


Le front de ce combat engagé pour défendre ma commune m’a mené jusqu’à Paris. Je n’ai pas besoin d’en détailler le contenu. Cela constituerait une forme d’overdose égocentrique nauséabonde et décalée. Mais malgré la satisfaction d’arriver, je n’avais pas pris conscience que dans cette bataille, un second front s’était ouvert dans les lignes arrière, compliqué à gérer, car l’histoire militaire a souvent montré qu’une guerre menée sur deux fronts aboutit rarement à la victoire.


Je considère qu’un élu ne voit pas tout, ne comprends pas tout, ne sait pas tout. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne voit pas, qu’il ne comprend pas, qu’il ne sait pas certaines choses qui se disent, qui se pensent ou qui se font …


J’ai en effet ressenti lors de mon retour sur le territoire une nécessité d’expliquer auprès de quelques homologues élus les raisons derrière ma démarche, qui sans vigilance et en fonction du contexte, pouvait parfois tourner à une demande de justification et, aboutir en suivant, à une forme de procès.


Tout d’abord, il convient de préciser que la vie n’est pas un tout parfait. Au contraire, elle est, comme le disait Roger Martin du Gard, un amalgame saugrenu de moments merveilleux et d’emmerdements. Elle est faite d’imperfection(s). C’est aussi cela qui lui donne cette résonnance si profonde. Elle laisse donc libre court à l’erreur, à l’imprévu, à l’écartement. La vie des uns, pour être jugée à sa juste valeur, réclame donc la tolérance des autres : celle d’accepter la différence, celle de lâcher prise face à ce qu’on ne comprend pas, celle de se nourrir de ce qui sort de son champ de compréhension pour consolider sa propre vision des choses. Ce que je veux dire par là, c’est que je suis loin d’avoir fait autant de calculs pendant les deux semaines et demi qui m’ont mené à Paris. Ce furent 18 jours imparfaits, et c’est bien grâce à cela qu’ils seront inoubliables.


Au-delà de cette précision, le simple fait de devoir répondre à des demandes de justification piégeuses, pouvant alors créer un décalage entre les incertitudes de la fougue oratoire et la sincérité de cette belle aventure, me questionne sur l’indépendance relative du maire d’aujourd’hui.


En effet, s’il parait logique, acceptable, et même nécessaire, d’expliquer aux personnes avec des intentions et questionnements sincères les raisons qui m’ont poussé à réaliser ce périple, l’art de l’esquive, nécessaire en certaines circonstances, l’était bien moins. Communiquer pour informer et communiquer pour demander un aval illégitime sont deux logiques différentes, dont la frontière peut parfois apparaitre mince. Mince mais ô combien importante, car elle redéfinit pleinement les intentions de l’acte. Et les intentions fondent le jugement même de nos actions.


Ce constat m’a conforté dans ce sentiment nourri depuis maintenant longtemps, avec le recul de trois années d’exercice du mandat de maire, que le fonctionnement actuel de notre démocratie locale, et au-delà, peut-être plus dérangeant, la tendance qui se dessine depuis plusieurs années, tend vers une perte d’autonomie des maires dans les domaines matériels de leur fonction, à savoir leurs compétences, mais aussi dans l’impalpable du tout qu’ils constituent. Il y a la loi, et l’esprit de la loi. Les maires sont en train de régressés sur les deux aspects de leur fonction.


Les maires sont-ils encore les patrons dans leur propre commune ?

Sont-ils encore libres d’agir comme ils le souhaitent ?


Ce sont des questions que je me pose légitimement depuis mon retour, encore plus qu’avant de partir.


La dépendance du maire vis-à-vis son environnement extérieur s’accroit chaque jour un peu plus. Le mille-feuille territoriale, le partage de compétences identiques par des collectivités différentes, la dépendance aux logiques de cofinancement pour la réalisation des projets communaux sont autant de raisons contextuelles qui ont favorisé les passerelles entre collectivités et les inter dépendances de la plus petite d’entre elle vers ses partenaires.


La perte continue de compétences qui sont remontés à des niveaux supérieurs, ou qui ont été vidées de leur substance, se cumule avec les coups portés à l’autonomie financière de communes toujours plus dépendantes des fonds de compensation mis en place par l’Etat pour justifier la suppression d’impôts locaux.


Les nombreuses évolutions législatives, territoriales, budgétaires, sociétales qui impactent notre fonction déconstruisent petit à petit la représentation claire qui était la sienne dans l’esprit des citoyens pour en faire une sorte de gloubi-boulga sans saveur dont on peine désormais à connaitre les ingrédients et comprendre la recette.


Le maire était un solide, aux contours précis. Il est devenu un liquide qui s’adapte au grès des contenants qui changent et dans lequel on le verse. Peut-être finira-t-il un jour, à ce rythme-là, par se faire vaporeux …


Et pourtant, le maire reste bien l’élu le moins impacté par le phénomène de rejet de la classe politique par les citoyens, pour de multiples raisons. Il reste apprécié des électeurs mais devient pourtant très sérieusement menacé dans sa légitimité par les incessantes remises en question de ses compétences et, plus trivialement, de SA compétence. Cela n’est pas sans poser une vraie problématique de sécurité car si la proximité des élus locaux avec leurs habitants est sans doute ce qui fait de lui un élu encore respecté, c’est également ce qui fait sa fragilité en période de crise. La récente actualité nous l’a malheureusement démontrée.


Cette conception descendante de la fonction de maire pourrait nous faire oublier que les élus locaux doivent avant tout leur légitimité au vote des électeurs de leur commune. Ils portent pour six ans une responsabilité sur un territoire donné. Ne nous trompons pas : ils n’ont de comptes à rendre qu’à eux. Et il serait inadapté que leur action ne soit pas d’abord et presque exclusivement orientée pour eux.


Bien entendu, il faut travailler en cohérence de territoire, puisqu’il serait contre-productif de ne pas favoriser des politiques ou actions dont les répercussions dépassent les simples frontières communales. Ce qui est bon pour une commune limitrophe ou à proximité a presque toujours des conséquences positives pour sa propre commune. Le développement de projets d’urbanisme à proximité peut favoriser les commerces autour. Des villes et villages bien entretenus favorisent une cohérence de territoire qui développe le sentiment de ses habitants de vivre dans une région agréable. Le rayonnement des villes moyennes profite aux villages des alentours, comme l’inverse.


Le monde des élus locaux est un environnement complexe, multidimensionnel et protéiforme, qui répond à certaines règles et qui doit être envisagé avec la sophistication inhérente à tout ce qui a trait aux relations humaines. Il faudrait être naïf pour ne pas le considérer ainsi, avec tous ses codes qui forment une sorte d’étiquette où chaque élu, en fonction d’un certain nombre de critères tels que la taille de sa commune et sa potentielle étiquette politique, doit être attendu à la place qu’il convient.


Notre monde n’aime pas l’indépendance. Il n’aime pas l’anticonformisme. Nous sommes dans un système qui se rassure par le contrôle qu’il veut imposer aux choses. Il est donc difficile de se mouvoir à l’intérieur quand on n’en respecte pas totalement les codes et les usages, tel un électron libre dont l’action municipale n’est régie que par l’intérêt général, une ligne de conduite établie sans orientations idéologiques autres que les nécessités de terrain, les besoins des habitants et la projection cible d’une vision établie sur le court, moyen et long terme.


Pourtant, ce qu’il y a de beau dans cette fonction, c’est justement la liberté de faire, la capacité d’entreprendre, la possibilité d’agir sur l’épanouissement collectif et donc de répondre à cette envie de se mettre à leur service pour donner un sens au mot utile, tant pour les autres que pour soi.


Mettre en péril cette indépendance en augmentant l’assujettissement aux autres collectivités, aux dépendances budgétaires des subventions, à la multiplication des obligations règlementaires qui amoindrissent ses capacités d’actions sur ses autres prérogatives historiques, sont autant d’orientations qui ne vont pas dans le sens d’une diminution de la crise démocratique locale des vocations. Derrière, c’est aussi la question du renouvellement des élus locaux et de leurs capacités à former une représentation cohérente de leurs populations qui se pose.


Cette politique accentue le phénomène de la féodaruralité (qui avait fait l’objet d’un des premiers articles de ce blog), inhibant parfois nos paroles et nos actes et laissant à penser que nous devons nous soumettre à une forme de bienséance non-conflictuelle pour obtenir ce qui est nécessaire pour la réussite de nos mandats.


Le maire doit pourtant rester libre dans ses actes. Il ne peut être tenu du consulter ou demander l’avis (pour ne pas dire l’aval) à chacune de ses actions. Il en va de la liberté qui lui a été transmise pendant son mandat par sa population.


Sa liberté de penser,

Sa liberté de dire,

Sa liberté de faire,


Sa liberté de marcher …



 
 
 

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