top of page
Rechercher

#13 - Mépris de (grande) classe

Photo du rédacteur: Jeremie GaillardJeremie Gaillard

Un escalier de fer, un couloir étroit et obscur

Au fond de ce couloir, une porte entrouverte

D’où nous parviennent les accords d’une musique

Qui en ce lieu parait irréelle

 

Tel pourrait être le début de la triste chanson qui nous a été contée ce mardi 28 mai 2024 à l’Hôtel Matignon.

 

La journée avait pourtant démarré dans la bonne humeur. Tôt certes, car le rendez-vous de départ était fixé à 5h15 pour les presque quarante élus présents à cette occasion, mais dans la bonne humeur tout de même, tant l’esprit de groupe demeure une composante importante pour se rendre à Paris afin de défendre leur territoire et surtout ses habitants.

 

Le front était à bonne distance, à plus de 3h de train et 600 kilomètres, mais la détermination sincère et réelle des troupes allait de pair avec l’impérieuse nécessité d’effectuer ce déplacement.

Elle relève des luttes qui construisent autant qu’elles peuvent détruire, de celles qui réclament des sacrifices, de l’opiniâtreté et de la pugnacité, de ces moments de vie qui n’offrent que « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur », mais qui sont si essentiels à la croisée des chemins, et qui, de temps en temps, changent le destin des Hommes.

 

Ce n’est certes que le destin de 25 000 âmes d’un petit territoire qui est en jeu, à savoir ceux qui peuplent les 41 villes ou villages de la Communauté de Communes du Réolais en Sud Gironde. Ce petit bout de France rurale, situé dans le plus vaste département de la France métropolitaine, en limite avec le Lot-Et-Garonne, possède le charme de la campagne avec ses vignobles, ses prairies, ses champs et ses paysages naturels qui ont su résister à l’urbanisation excessive qui a parfois sévi à quelques kilomètres.

Sans être irréductibles, ses habitantes et habitants portent en eux le caractère de son histoire, la force de cet attachement à leur terre, ses valeurs, ses traditions, et tout ce qui construit son identité.

 

Mais malgré les certitudes ancrées de vivre dans un endroit qui possède beaucoup de critères éligibles à ce qui pourrait presque correspondre à une forme de définition du bonheur, la réalité qui est la nôtre est fortement bousculée par des vents contraires.

Soumis à des difficultés sociales, économiques, et à toutes les conséquences qui en découlent ; quand le taux de chômage est plus élevé que la moyenne, que le revenu moyen est insuffisant, que les médecins manquent, que les services publics ferment, que les faits de délinquance augmentent, que les trains ne s’arrêtent plus, que les classes ferment, que les commerces disparaissent, que les entreprises mettent la clef sous la porte, ce territoire cherche toujours un souffle qu’il n’a jamais véritablement trouvé.

 

Des élus, quelque soit la strate élective, il y en a des bons et des mauvais. Ce serait mentir de dire que ces derniers sont inexistants, voire marginaux. Il existe néanmoins dans notre pays, et notamment au niveau local, un socle d’élus qui fait un travail formidable, indispensable, ingrat parfois (ou souvent) tant il peut exister un décalage entre l’ampleur de la tâche réalisée, avec les sacrifices afférents, et la reconnaissance qui en émerge.

Dans un monde qui s’homogénéise, qui se globalise, qui se lisse, l’élu local reste pourtant, par sa connaissance fine des besoins de la population, sa proximité et son expertise d’usage, un repère rassurant pour ceux qui relâchent le fil qui nous lie en tant que peuple, en tant que société, en tant que population unie autour de mêmes valeurs, d’un même drapeau, d’un même projet collectif de vie.

 

Alors quand ces mêmes élus de la Communauté de Communes du Réolais en Sud Gironde apprennent l’exclusion de leurs communes du dispositif France Ruralités Revitalisation, qui vise justement à actionner les leviers qui permettent d’agir sur les difficultés de son territoire, c’est leur rôle et leur devoir de tout faire pour le défendre et demander son intégration. Et après nombre d’échanges et d’actions infructueux auprès des différents responsables de cette injustice, décision avait donc été prise de s’inviter poliment à Paris.

 

Le déroulement de cette journée a finalement apporté nombre d’enseignements sur ce qu’est notre pays aujourd’hui et la manière dont il est dirigé, et d’être convaincu que la bascule entre le sérieux et l’absurde tient à peu de choses.

 

Elle tient tout d’abord au policier qui, prévenu de notre arrivée, redirige 37 élus revêtus de leur écharpe tricolore, symbole de leur légitimité à représenter les habitants de leur commune, dans une petite rue qui a tout de celles qui vous amènent discrètement à l’arrière de la boutique.

 

Elle tient à la volonté de refuser à la délégation de choisir sa propre représentativité, le physionomiste parlementaire à l’entrée s’octroyant ce droit, par tranquillité d’esprit sans doute, par l’autocratisme de celui qui cherche à limiter toute capacité de contestation assurément.

 

Elle tient à l’indélicatesse sadique de laisser trente élus de la République dehors, sous la pluie, comme des inconnus à l’attitude suspecte et à la physionomie louche qu’on aurait peur de faire rentrer chez soi.

 

Elle tient à cet escalier de fer emprunté à l’abri des regards, comme ces serviteurs qui au château de Versailles utilisaient des couloirs dissimulés derrière les moulures, les dorures et les miroirs des salons d’apparat, pour ne pas se mélanger à la Cour.

 

Elle tient à cet agenda surchargé de réservation des salles de réunion du bâtiment qui, par bonheur, nous permet tout de même d’atterrir dans une petite salle sous les combles, au bout d’un couloir aussi impersonnel que l’accueil qui nous est réservé.

 

Elle tient à notre hôte qui nous reçoit avec la froideur du croquemort pendant une cérémonie mortuaire et le regard impassible du bourreau qui tient dans sa main la cagoule qu’il ne tardera pas à enfiler autour de la tête du condamné.

 

Elle tient aux leçons professorales introductives que doivent écouter religieusement des élèves réprimandés comme des enfants qui auraient fait preuve d’un sens de l’initiative insupportable pour l’addiction au contrôle de ceux qui détiennent le pouvoir.

 

Elle tient à la déconnexion d’un parlementaire venu non pour soutenir son territoire, mais pour limiter notre pouvoir de nuisance dans ses ambitions de carrière. La qualité d’un homme se voit à la manière dont il se comporte dès lors qu’il se voit confier un peu de pouvoir. Il faut croire que même le poids de la boue sur les bottes des hommes de terre n’est pas suffisant pour les maintenir ancrés aux réalités de terrain et ne pas céder aux sirènes d’une envie d’élévation qui sacrifie ceux-là même qui la permette.

Il est d’ailleurs « cocassement amère » de constater que notre combat est justement un élément qui permet, par sa nécessité pour l’exécutif de faire le lien avec son représentant sur le territoire récalcitrant, de développer ses opportunités personnelles pour mieux se faire connaître, prouver des aptitudes qui pourraient en suivant être appelées à d’autres fins politiques en adéquation avec son appétence à la promotion républicaine.

Cela ne reste qu’un jugement de valeur qui alimente l’espoir de se tromper, car le sentiment est toujours quelque chose de subjectif.

 

Elle tient au manque de respect (feint je ne le crois pas) qui accompagne la première prise de parole de notre Président de CDC. Quand les deux principaux interlocuteurs précédemment évoqués sont plus occupés à pianoter sur leur téléphone ou servir le café qu’écouter le diagnostic d’un territoire en difficulté, ressort alors la volonté claire et affirmée d’imposer un rapport de force dont l’égocentrisme de ceux qui veulent le mettre en place parait tellement déconnecté de la souffrance collective représentée devant eux.

 

Elle tient à l’incapacité de fournir la moindre preuve et le moindre signe d’une quelconque envie de trouver une solution pour répondre à la seule mission qui compte véritablement dans les positions qui sont les nôtres, même en nos qualités diverses et variées, à savoir travailler à l’amélioration du cadre de vie et d’épanouissement des Français. Nous sommes en face d’une forme d’élite intellectuelle du Pays des Lumières. Pour autant, jamais l’ombre du mur érigé devant nous n’aura semblé aussi glaciale.

 

Elle tient à l’arqueboutisme égotiste de limiter sa volonté plus que sa capacité à écouter, entendre et absorber pour faire évoluer son analyse d’une situation et agir en conséquence, au risque de créer les conditions de la transformation d’une colère face à l’injustice en un sentiment moins rationnel, moins contrôlable, et finalement plus dangereux.

 

Elle tient à l’ubuesque tentative de prise d’une photo de l’ensemble du groupe d’élus dans la rue devant l’Hôtel de Matignon, qui n’aurait rien de pathétique si elle n’avait pas nécessité trente minutes de négociation, l’intervention en cascade de six niveaux de hiérarchie et l’arrivée de renforts policiers pour canaliser les canailles de la démocratie locale que nous représentions.




 

Les enseignements de cette journée sont nombreux. Celle-ci nous a permis de confirmer :

-  Que l’incompréhension est réelle entre les territoires et le pouvoir exécutif, et que le fossé semble malheureusement se creuser toujours davantage.

- Que nos modes de gouvernance se sont complexifiées à l’excès, tant il est devenu sophistiqué de moduler un système sclérosé quand il s’est trompé. A voir le processus mis en place pour prendre une simple photo, on imagine bien que modifier une loi réclame des efforts qui s’apparente à un mouvement de plaque tectonique …

-  Que la centralisation autour d’un pouvoir descendant s’est amplifiée.

- Que sans tomber dans un cliché auquel je m’étais toujours refusé, le mythe de la technocratie parisianiste n’est pas si irréel désormais.

-  Que le regard porté sur la ruralité et ses élus est teinté, chez certains, de déconsidération, de dédain, pour ne pas dire de mépris.

-  Qu’il existe un décalage réelle entre les intentions humanistes de combattre la montée des extrêmes dans notre pays et une politique d’abandon de territoires qui favorise la véracité de certains discours nauséabonds.


Mais d’autres, beaucoup plus positifs, nous laissent quelques motifs d’espoir :

-        Nous sommes plus soudés que jamais pour aller au bout de notre combat et réparer l’injustice.

-        Nous connaissons mieux la véritable nature de ceux qu’il nous faut convaincre, en espérant ne pas finir par devoir les combattre.


Cette journée riche en enseignements et sentiments pourrait être résumée ainsi :


C’était prodigieusement hallucinant, mais tristement peu surprenant …




 
 
 

1 Kommentar


Roger NETTE
Roger NETTE
30. Mai 2024

Superbe texte !!! BRAVO pour ça, Jérémie mais bien attristé par cette situation quand même incompréhensible. Y_a-t-il quand même uen chance ? Amitiés

Gefällt mir
Post: Blog2_Post
  • Twitter Icône sociale

©2021 par Chroniques à maire

bottom of page