J’évoquais dans le précédent article les difficultés pour certaines collectivités d’être légitimées autrement que par la taille de la population qu’elles représentent.
Au-delà des regards extérieurs, cette réalité a également une incidence sur les règles insidieuses qui régissent leurs interactions.
Ces dernières constituent en effet une forme d’étiquette sous-jacente, comme une traduction implicite des possibilités d’intervention de chaque maire face à ses homologues. Dans ce cadre précis, elle offre sans grande surprise des opportunités accrues à mesure que votre ville est peuplée, et oblige à un certain nombre de retenues, pour ne pas dire restrictions, les maires situés en bas de l’échelle.
Autant néanmoins le dire tout de suite : les relations entre maires sont généralementxdd plaisantes. Le respect est réel (même s’il l’est autant que la méfiance qui s’installe avec l’expérience …x). Sans doute connaissons-nous tous trop la difficulté de la mission pour ne pas respecter nos collègues, quel qu’ils soient. Néanmoins, ces relations restent souvent bonnes tant que chacun reste à la place qui est sensée être la sienne, et c’est bien là tout le problème.
Nous sommes dans un temps qui réclame un profond changement. Je ne m’étendrais pas sur la longue litanie des errements de notre temps. Il parait plus pertinent de s’attarder sur le fait que ce changement est obligatoirement soumis à des différences idéologiques qui nécessitent débats et combats, et engendre des tensions presque inévitables pour réussir cette transition. Le fonctionnement actuel des collectivités territoriales ne le permet malheureusement pas.
Il faut bien comprendre que dans cet ensemble hétérogène que constituent les 36 000 communes de France, des sous-groupes d’appartenance se côtoient. Pour la grande majorité, ils sont liés encore une fois à la taille de votre commune. Vous y retrouverez France Urbaine, association qui représente l’ensemble des métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et grandes villes françaises, la Fédération des villes de France, pour les communes qui comptent entre 10 000 et 100 000 habitants, l’Association des Maires Ruraux de France pour celles de moins de 3 500 habitants, et d’autres encore.
Toutes ces entités visent à favoriser la convergence d’échanges, de réflexions, de pistes de résolution sur des problématiques communes. Elles sont légitimes, même si elles peuvent dans certains cas s’apparenter à une forme de lobbying privilégiant l’intérêt particulier du sous-groupe à celui plus collectif de l’ensemble ( cf article : France urbaine appelle à une distribution de la Dsil « plus juste » en faveur des grandes villes et intercommunalités | Maire-Info, quotidien d'information destiné aux élus locaux).
Elles permettent également de tracer les contours simplifiés de la hiérarchie qui s’impose aux maires et qui, comme dans un système nobiliaire, définissent le monde des possibles de chacun. Que vous soyez Roi ou simple sujet, comte ou baron, marquis ou duc, il ne vous est pas permis les mêmes choses, que ce soit dans ou en dehors de la sphère communale. Cela est d’autant plus vrai pour les petites communes habillées du costume de la vassalité le moins agréable à porter.
La dépendance financière, matérielle, logistique, parfois humaine, des communes pour concrétiser leurs actions est avant tout celle des petits, et oblige raisonnablement à une forme de vigilance et de retenue, inhérents au concept de redevabilité, dans les autres moments de la vie démocratique.
J’en vois notamment deux.
Le premier concerne les votes communautaires, où comme dans un pacte de non-agression, chacun privilégie l’esquive à l’attaque, quand bien même cette dernière est fondée sur la défense de l’intérêt général, par crainte qu’au moment où la délibération concernera directement sa propre commune, les retours de bâtons puissent se faire durement ressentir. Le catalogage de l’élu dans une case (avec ou contre, majorité ou opposition) est tellement compliqué à combattre, et il est tellement difficile de rendre lisible une posture d’équilibre, que le risque n’en vaut pas forcément la chandelle. Bien qu’indépendante en tant que collectivité, la commune est tributaire des autres pour évoluer dans le bon sens, avec les avantages et les inconvénients de cette logique.
Le second cas de figure dans lequel ce que j’appelle la féodaruralité s’applique est du ressort du domaine du combat. Quand deux communes s’opposent sur un sujet (ou plutôt quand deux élus le font), le rapport de force est généralement très favorable à la commune la plus peuplée.
Un élu m’a dit un jour : « De toute façon, à la fin, c’est toujours la grosse commune qui l’emporte ». Et il a malheureusement raison. Les combats des grandes villes paraissent souvent plus légitimes que ceux des petites. Quand dans les premiers, ils apparaissent comme des colères saines, ceux des seconds alimentent la détestable image de l’irréductible Gaulois défendant son village, avec ce côté brave, dans le sens le plus péjoratif que peut avoir ce terme. Cela est encore plus vrai avec en face de nous un Etat décisionnaire sur beaucoup de domaines qui favorise depuis des années le développement urbain des villes.
Le défi de se faire entendre et respecter est encore plus grand face à ceux qui, généralement, ont un pouvoir d’influence (et de nuisance) bien plus important. Cela s’explique notamment par leurs possibilités accrues de siéger dans des instances supra décisionnaires (département, région, …), mais également par le fait qu’ils ont un rapport de force plus équilibré avec ces mêmes collectivités sans lesquelles nos communes ont du mal à concrétiser leurs projets. Rares sont les dossiers en effet où il n’est pas fait appel à l’un de ces tiers dans le processus décisionnel pour essayer de les faire aboutir.
Notre commune défend actuellement, avec d’autres, le maintien de dessertes de train pour nos habitants, si indispensables pour les évolutions sociétales et environnementales réclamées sur nos territoires. Un échange préalable que nous voulions constructif, factuel, pragmatique, s’est malheureusement transformé en rapport de force tendu avec la collectivité décisionnaire, à savoir la Région Nouvelle-Aquitaine.
Mais que dit-on de ce combat légitime en coulisses :
- Vous agacez …
- Attention messieurs les maires …
- Si vous finissez dans son viseur, il vous coupe les vivres
- Votre combat est légitime, mais je ne me mettrais pas à dos la Région (on pourrait ajouter à cette phrase car j’ai besoin d’elle pour mes projets)
…
Ce dernier exemple d’autocensure conventionnelle illustre bien une difficulté de notre temps. Alors même qu’au regard des enjeux contemporains, le changement est une nécessité, un impératif, une urgence, la contradiction n’est pas vue comme positive et potentiellement constructive dans le monde de l’élu.
Celui-ci n’aime pas le conflit, qui remet en question ses choix, ses jugements, sa légitimité, et surtout questionne son égo. Beaucoup (trop ?) préfère le lobbying feutré des coulisses à la juste transparence du débat public que nous devons aux électeurs dont nous tirons notre mandat, et qui éviterait ces décalages entre parole public et parole d’alcôve qui favorisent tant la défiance à l’égard des hommes politiques.
Encore plus pour les petits maires, le risque de marginalisation est important, tant le réseautage a une incidence sur nos projets, leur financement et les votes qui en permettent la concrétisation.
Les petits auront toujours plus besoin des grands que l’inverse, comme le serf qui demande protection à son seigneur. N’oublions pas néanmoins que les équilibres réels sont toujours plus complexes et que le seigneur titre aussi sa richesse du travail des autres. Il a d’ailleurs parfois besoin de toutes les forces disponibles pour mener à bien ses propres combats.
Cette description un peu schématique est à l’image d’un symbole éternel de notre monde : l’incapacité du nombre à prendre conscience de l’incommensurable force de l’alliance. Il en va de la nature humaine et des difficultés à faire consensus entre humains, trop disparates, trop peu enclins au compromis.
Il apparait urgent de donner davantage d’autonomie aux communes, qu’elle soit budgétaire ou en matière de compétences exercées. C’est uniquement en cassant cette servitude à un système qui décourage les bonnes volontés et favorise le maintien des errements politiques, que nous pourrons pleinement agir pour les seuls intérêts des populations dont nous connaissons les besoins sans doute mieux que quiconque.
J’ai pris la décision de ne pas m’inféoder à cette autocensure de manière totale. Elle doit bien évidemment exister, sans en être malgré tout la norme absolue. Ce n’est pas sans compliquer la tâche, mais je choisis de ne pas avoir de regrets plutôt que de me perdre. Je préfère ne pas poursuivre ma tâche à la fin de mon mandat, si tel doit être le cas, en ayant agi avec mes convictions et mon système de valeurs, que de poursuivre sur un chemin où il semble si facile de s’égarer ...

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