#12 - Ces (territoires) ruraux qu’on assassine
- Jeremie Gaillard
- 16 févr. 2024
- 6 min de lecture
La vie d’élu local réclame une polyvalence amplifiée à mesure que la taille de votre commune diminue. Moins vous avez de moyens humains ou financiers à votre disposition, plus il est nécessaire de jongler entre la gestion des problématiques du quotidien et la mise en œuvre de projets plus structurants, dans des domaines toujours plus variés, passant de l’un à l’autre avec un équilibre qui réclame une bonne gymnastique mentale pour ne pas trébucher face aux exigences citoyennes ou règlementaires toujours plus accrues.
Dans ce maelstrom de tâches à mener, d’informations à assimiler, de documents à compléter, de rendez-vous à honorer, de mails à traiter, de coups de téléphones à recevoir, ou à donner, de réunions à suivre, de conseils à préparer, de management d’équipe à gérer … les élus locaux restent tributaires, dans la réussite des missions qui leur sont confiées, des conditions d’exercice de mandat qui sont définis à des niveaux supérieurs et dont ils bénéficient ou qu’ils subissent, fonction des situations.
C’est tout le paradoxe de la démocratie locale en France. Le maire et son équipe sont en effet élus au suffrage universel direct. Pour autant, une partie non négligeable de leur champ d’action et de leur capacité à agir sur les critères d’épanouissement de leur population est définie par d’autres personnages du paysage politique. Certains d’entre eux sont d’ailleurs eux aussi élus au suffrage universel direct (députés, Président de la République …) avec des logiques nationales parfois en décalage avec les attentes locales.
Ce jacobinisme bien français n’est pas sans conséquences. S’il permet le maintien du principe d’égalité et d’une forme d’homogénéité de traitement sur l’ensemble du territoire national à laquelle, il faut tout de même le dire, les Français sont généralement attachés, il engendre parfois, souvent, des frustrations tant des populations, qui ne comprennent pas pourquoi leur maire ne peut agir tel que l’imaginaire formalisé de sa fonction et de ses prérogatives, que des élus qui subissent au quotidien ce sentiment parfois, souvent, d’injustice d’être tenus pour responsables d’une forme d’incompétence qui n’est pas la leur.
Cette problématique se matérialise aujourd’hui sur mon territoire et dans ma fonction autour de 3 lettres d’un acronyme barbare qui le devient véritablement quand il vous ignore : FRR.
France Ruralités Revitalisation, parce que c’est de cela dont il s’agit, est un dispositif mis en place à compter du 1er juillet 2024 par l’Etat sur certains territoires de notre pays. Il remplace plusieurs régimes précédemment existants, dont le principal était les ZRR : Zones de Revitalisation Rurale.
Sans rentrer dans la complexité habituelle de ces dispositifs, qui en dit pourtant beaucoup de la manière de penser et de gouverner dans notre pays, il convient d’en évoquer l’invisible importance au travers des principaux bénéfices qu’il assure aux intercommunalités choisies (les Communautés De Communes dans le cas présent), selon deux critères aux intitulés très simples à comprendre uniquement pour celui qui les a réfléchis et sélectionnés :
- Une densité de population inférieure ou égale à la densité médiane nationale des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) de France Métropolitaine
- Un revenu disponible médian par unité de consommation inférieur ou égale à la médiane des revenus médians par EPCI de France Métropolitaine
Les futurs EPCI estampillés FRR bénéficieront dans quelques semaines d’atouts de développement conséquents, à savoir, pour les principaux :
- La possibilité pour les communes concernées d’exonérer les immeubles de taxe foncière sur les propriétés bâties
- L’exonération d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés pour les entreprises créées ou reprises de moins de 11 salariés qui exercent des activités industrielles, commerciales ou artisanales, ou professionnelles non commerciales, pendant 5 ans.
- La possibilité d’exonérer les entreprises de cotisation foncière des entreprises (CFE) pendant 5 ans.
Ces leviers sont de formidables boosters pour créer une dynamique territoriale. Ils attirent inévitablement les entrepreneurs à la recherche d’une sécurisation de leur projet sur les premières années, le temps de consolider leur entreprise. Ils créent de l’emploi, favorisent le développement économique du territoire et donc les externalités positives qui en résultent en matière d’éducation, de sécurité, de santé … Ils font également venir ceux qui souhaitent tout simplement, à travail équivalent, gagner plus, et permettront aux communes affublées de ces 3 lettres de bénéficier de subventionnements plus importants pour réaliser leurs projets.
Les FRR, ce sont donc des millions d’euros injectés sur un territoire, à la fois dans les économies consenties par l’Etat pour diminuer les charges patronales, mais également dans les compléments de dotations aux collectivités.
Le principe est donc louable et vertueux.
Mais qu’en est-il de son application concrète ?
La Communauté de Communes du Réolais en Sud Gironde dont fait partie la commune de Caudrot était déjà partiellement évincée du dispositif ZRR. C’était déjà il y a maintenant presque un an l’une des revendications portées pendant la marche menée jusqu’à Paris, tant à l’époque le dispositif était déjà d’importance.
La nouvelle mouture FRR a livré récemment une première cartographie des EPCI retenus, à la grande surprise des élus de notre Communauté de Communes.


Elle met en exergue deux cruelles problématiques.
Tout d’abord, elle exclut du dispositif notre territoire qui, de par l’expertise d’usage qu’en ont les élus, les parlementaires, le sous-préfet, et tous les acteurs locaux, remplit tous les critères de nécessités (pour ne pas dire d’urgences) permettant légitimement de pouvoir bénéficier d’un tel dispositif. En matière de taux de chômage, de présence médicale, de dynamique économique, de difficultés sociales, de réussite éducative, de mobilité et autres, les habitants de notre territoire ont besoin de ce dispositif qui permet de rétablir les équilibres départementaux, notamment à 50 kilomètres d’une métropole bordelaise qui vampirise une partie conséquente de l’attractivité de la Gironde. Voilà ce qui arrive quand les critères sont mal définis ou, a minima, des projections ne sont pas plus affinées pour vérifier la concordance de la règlementation avec le besoin qu’elle est censée couvrir.
Ce sentiment d’incompréhension, accompagné de frustration puis de colère, est accentué par celui de l’injustice en constatant que la quasi-totalité des intercommunalités autour de la nôtre bénéficie du classement en FRR.
Concrètement, cela signifie qu’un phénomène de discrimination va progressivement écarter les 41 communes de notre CDC et ses 24 000 habitants de la majorité des projets d’implantations, de créations et de reprises d’entreprises. Derrière cela, ce sont des centaines d’emplois qui potentiellement seront perdus, et donc des centaines de familles impactées.
Sur des sujets tels que la santé, le risque est incroyablement élevé de voir les médecins partant à la retraite ne pas trouver de remplaçants. D’ores et déjà, des maisons médicales sont mises en difficulté par le départ progressif de professionnels de santé qui choisissent d’exercer à quelques kilomètres seulement, avec des critères de fiscalité bien plus avantageux.
En pleine crise agricole, à l’heure où la reprise des exploitations par une nouvelle génération est un enjeu national majeur dans les objectifs de souveraineté alimentaire, c’est l’abandon de nos terres viticoles et agricoles qui se profile, et la disparition d’une partie de notre identité et de nos paysages.
Les conséquences de cette mise en concurrence déloyale entre territoires qui ont les mêmes besoins, car il n’est pas ici question de requestionner les besoins identiques de nos voisins, est catastrophique pour nos habitants et nos communes, pour ne pas dire mortifère.
Car au-delà des conséquences directes déjà évoquées, il faudra ajouter à cela toutes les externalités négatives que cette mise au ban va créer. Sans populisme et simplification à outrance, la paupérisation engendre des conséquences sociales plus que problématiques. Cela signifie concrètement des violences intra familiales en augmentation. Aucun maire ne peut se satisfaire de devoir gérer des signalements de ce type ou de maltraitance infantile. Le chômage engendre indubitablement une dégradation du niveau de vie et l’affaiblissement du lien social.
Le risque de désertification médicale diminuera le nombre de médecins généralistes et spécialistes pour 1 000 habitants. Derrière cette statistique, ce sont des délais allongés pour obtenir un rendez-vous, et assurément des examens qui finiront par ne pas être réalisés.
Que dirons-nous à la famille de cette femme décédée d’un cancer du sein par absence de dépistage ? Qui ira secourir la personne âgée qui n’aura pas pu soigner une toux qui était pourtant bénigne quelques jours auparavant ? Quel avenir scolaire et professionnel aura cet enfant qui ne peut pas bénéficier de l’aide d’une orthophoniste ? …
Ces exemples sont légion. Ils paraissent clichés, mais certains clichés montrent également la réalité des choses parfois. Et invisibles soient-elles, les répercussions de ce déclassement de notre territoire à bénéficier d’un dispositif dont il a cruellement besoin seront innombrables et pour certaines dramatiques.
Maintenant, une fois ce constat réalisé, les questions restent toujours les mêmes. Dans un contexte où les modes de contestation classiques n’ont plus les effets escomptés, que nous reste-t-il pour nous faire entendre ? En qualité de représentant du modèle démocratique français, pouvons-nous entrer dans un mouvement plus dur et des logiques de désobéissance civique ? Comment faire valoir ce qui relève tout simplement du principe fondamental et constitutionnel de justice ? …
La plus importante est peut-être celle-ci : faut-il mourir au combat ou dans l’honneur du silence pour paraitre digne de notre fonction ?
La réponse à cette question dépendra sans doute des réponses qui seront faites suite aux nombreuses sollicitations formulées pour rétablir cette injustice. Les inquiétudes sont néanmoins majeures, tant il apparait déjà que notre territoire serait également exclu des mécanismes de rattrapage ou dérogatoires permettant d’être intégré au dispositif FRR malgré tout.
Le rôle d’un élu local n’est pas que d’agir sur les nids de poule, les dysfonctionnements d’éclairage public et les conflits de voisinage. Il a le droit d’agir sur des leviers plus profonds de mutation pour les habitants son territoire de mandature.
C’est également son devoir.
En conscience, la dignité sera donc celle du combat, dur soit-il, car le seul vrai combat de tout homme l’oppose à sa propre lâcheté.
Silence … On meurt !

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