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#6 - Parrain d'eau douce

Photo du rédacteur: Jeremie GaillardJeremie Gaillard

Comme tous les 5 ans désormais, à l’occasion des élections présidentielles, ressurgit le sempiternel débat autour de la procédure de validation des futurs candidats. Les difficultés engendrées par l’obligation faite à chaque aspirant, s’il souhaite être éligible à la plus haute fonction élective de notre pays, de recueillir au moins 500 présentations auprès des 42 000 élus fournisseurs officiels de « parrainages », reviennent comme un marronnier journalistique de notre Cinquième République.


L’actuelle période de dépôt des parrainages auprès du Conseil Constitutionnel, qui prendra fin le 4 mars, n’échappe pas à la surmédiatisation des complications rencontrées par certains candidats pour atteindre le seuil règlementaire. S’il est légitime que des gardes fous permettent d’éviter de décrédibiliser cette élection par la multiplication de candidatures fantasques, la question de leur recevabilité doit néanmoins être posée dès lors qu’ils deviennent contre productifs et provoquent l’effet inverse, empêchant alors des candidats légitimés par des intentions de vote importantes de mener campagne sereinement.


Et donc, inévitablement, pendant quelques semaines, tous les regards se tournent vers les 20 000 maires ruraux qui administrent une commune de moins de 2 000 habitants. On leur fait les yeux doux, on les invite en VIP à des échanges privilégiés avec certains candidats, on leur déroule le tapis rouge pour participer aux meetings organisés dans de grandes salles (attendant sans doute que l’émerveillement du campagnard se rendant à la ville fasse le reste …). On va même jusqu’à sacrifier le budget de campagne pour faire le plein de la voiture, malgré le prix actuel de l’essence, et découvrir que la vie existe au-delà de la péri-urbanité.


Dans ce contexte, un relent particulièrement nauséabond s’ajoute à l’air déjà vicié que respirent les élus ruraux. A coup de grandes emphases démocratiques, ceux-là même qui mettent en péril la confiance des Français en leur classe politique lancent des appels à parrainer, au détriment de tout libre arbitre, et nous font ainsi porter de manière insidieuse la responsabilité qui n’est nullement la nôtre de mettre en danger la légitimité du suffrage universel direct. N’oublions pas que la difficulté actuelle d’obtention des parrainages est aussi la conséquence d’une démultiplication des candidatures qui prend sa source dans la défiance grandissante de la population à l’égard de la classe politique. A l’image des forces de l’ordre qui passent de héros de la Nation après un attentat à suppôts du pouvoir dictatorial après une bavure policière, les maires loués pour leur gestion de proximité pendant la crise sanitaire sont en passe d’être mis au pilori de la vindicte populaire si jamais Eric Zemmour, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon était empêchés d’être présents dans les bureaux de vote le 10 avril prochain.


De mon côté, autant le dire avec transparence, je ne parrainerai aucun candidat. Les raisons sont multiples, et je n’ai aucune difficulté à assumer cette décision qui est d’abord celle d’un collectif. En effet, malgré la conception très française de concentration du pouvoir dans la figure tutélaire du chef, nous avons comme ligne conductrice au sein de notre conseil municipal de débattre et de trouver une position conjointe sur les choix qui engagent la commune, encore plus quand il s’agit de son identification sur l’échiquier politique. Lors des dernières élections sénatoriales, les trois grands électeurs avaient par exemple porté par leur suffrage la représentativité proportionnelle d’un vote interne. La décision de ne parrainer aucun candidat a donc été mise à l’ordre du jour et prise en conseil municipal.


La campagne de notre équipe pour les élections municipales de 2020 s’est faite sous la bannière « Sans étiquette ». En effet, comme pour beaucoup de nos homologues de même taille, la difficulté à parfois constituer des listes, ainsi qu’un contexte sans doute moins politisé et professionnalisé, favorise l’émergence de ce type de liste. Je dis souvent que dans les élus qui m’entourent, certains lisent l’Humanité quand d’autres achètent le Figaro. Partant de ce constat, il apparait déjà compliqué de trouver un terrain d’entente sur le candidat à parrainer, surtout que ce sont souvent des partis à l’idéologie fortement caractérisée (pour ne pas dire clivants …) qui nous sollicitent. Au-delà, c’est prendre le risque de trahir une partie de l’électorat qui nous a choisi. Un habitant m’avait un jour fait part de son mécontentement en apprenant que mon prédécesseur, élu dans une même logique de neutralité, avait apporté son soutien à un candidat qui n’était pas de son bord. Je me garderais bien d’alimenter le même mécontentement, pas par peur d’assumer ou par manque de courage, mais par volonté de ne pas sacrifier sur l’autel de la naïveté démocratique les efforts fournis par l’ensemble des élus de notre commune pour mener à bien le projet pour lequel nous avons été choisis.


Depuis quelques jours, j’entends le contre-argument qui explique que le parrainage ne vaille pas soutien. Il n’y a rien de plus hypocrite que de dire cela quand, depuis le début de la mise en place de ce système, et de toutes les élections de la Cinquième République, la quasi-totalité des présentations ont été faites pour des candidats qui avaient le soutien de celui qui en était à l’origine. On ne peut pas déconstruire par quelques phrases ce que la mémoire collective a mis des décennies à diffuser. François Hollande l’avait d’ailleurs bien compris, et c’est prioritairement pour compliquer la vie des partis d’extrême droite qu’il avait décidé de rendre publique la liste nominative des parrains pendant son quinquennat.


David Lisnard, président de l’Association des Maires de France, maire de Cannes et membre des Républicains, vient d’apporter son soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Sa logique n’est pas transposable à notre situation, car elle ne modèrera pas sa caractérisation à Droite. Pour les élus sans appartenance politique, inévitablement que oui. Et soit dit en passant, le calcul n’est jamais loin car il ne serait pas opportun pour son parti que le candidat de La France Insoumise ne se présente pas. Le risque d’un report de voix défavorable à Valérie Pécresse n’est pas à négliger dans son choix.


Cette précision permet de faire le lien avec une autre raison de ne pas céder aux discours culpabilisateurs : le sentiment de la manipulation.


Pourquoi ce terme de Manipulation ? Parce que cette problématique n’est pas nouvelle. Elle revient à chaque élection. Malgré cette récurrence, rien ne change. Bien que connu et prévisible, aucun dirigeant ne s’attèle à régler le problème. La responsabilité est donc avant tout celle de celui qui a le pouvoir de le régler, pas celle de celui qui le subit.


Manipulation également car sous la Cinquième République, aucun candidat d’envergure n’a jamais été empêché de se présenter à l’issue de la période de dépôt des parrainages pour l’élection présidentielle. Je suis convaincu que celle qui approche n’échappera pas à la règle, et je n’effacerais pas cette prévision si elle s’avérait inexacte. Il y a de ce fait la sensation que cette difficulté à obtenir des parrainages favorisent justement le discours de ceux qui sont les premiers concernés. Cette situation alimente leur logorrhée et matérialise les arguments explicitant la nécessité de contrer un système qui cherche à les étouffer. Là aussi, ne soyons pas naïfs.


Manipulation aussi quand je repense à une tribune que j’avais publiée l’année dernière sur les difficultés d’exercice de mon mandat de maire rural. A la suite de sa diffusion, j’avais été contacté pendant les élections régionales et départementales par deux candidats pour discuter de la situation. En concertation avec mon équipe, par crainte de la récupération politique, j’avais répondu que nous pourrions les recevoir après le scrutin. Dix mois plus tard, je suis toujours dans l’attente d’un retour de leur part. Les partis concernés sont justement ceux qui aujourd’hui réclament le soutien des élus pour obtenir leurs parrainages …


Manipulation enfin, pour le toupet et le culot dont beaucoup font preuve en se rappelant au bon souvenir des élus ruraux. La démocratie en France est davantage fragilisée par le déclassement continu et inexorable de la ruralité plus que par cette réticence au parrainage qui apparait tous les 5 ans. Cherchons-nous les raisons profondes de ce malaise ? Ne serait-ce pas aussi la concrétisation d’années d’abandon de nos territoires ? Ne serait-ce pas tout simplement que les maires ruraux ne se retrouvent pas dans les candidats qui leur demande un soutien ?


Tous les jours, beaucoup d’entre nous se battent pour maintenir un semblant de vie, de mouvement et de dynamique afin d’améliorer le quotidien du tiers de la population française qui vit en zone rurale. Encore récemment, j’ai mené le combat pour ne pas voir ma gare sacrifiée sous l’autel de la rentabilité. Les trésoreries publiques et les hôpitaux subissent les mêmes logiques de fermeture et de regroupement que les gendarmeries il y a quelques années, amoindrissant la couverture de nos territoires et accroissant le sentiment d’abandon de nos populations. Nous agissons souvent seuls, au contact direct de la décadence qui prend le pas dans notre société : paupérisation, violence, divisions …


La réciprocité engage inévitablement un double mouvement. On ne peut donc avoir des attentes fortes en nous sans faire preuve de respect, d’écoute et de considération en retour. Il n’est pas ici question de parler de revanche des petites communes. Ce n’est pas l’état d’esprit qui m’anime. Mais l’absence de parrainage peut aussi être considérée comme un acte politique volontaire, le symbole de la défiance envers des dirigeants et des politiques publiques nationales qui déconsidèrent depuis trop longtemps la ruralité.


Le maire rural que je suis, avec toutes les difficultés qui sont les siennes au quotidien, et sous le poids de tous les costumes qu’il doit endosser, ne portera pas en supplément la croix des défaillances institutionnelles. D’ailleurs, quand on sait que le Général De Gaulle avait construit la Cinquième République pour diminuer l’influence des partis, il est paradoxal de constater qu’aujourd’hui, le système des présentations les favorisent par l’ancrage qui est le leur à l’échelon local. Le passage de 100 à 500 parrainages en 1976 à naturellement contrecarrer la cohérence qui avait concouru à sa mise en place.


Cette problématique cyclique du parrainage des candidats à l’élection présidentielle pourrait être comparée à l’incapacité des religions à s’adapter à leur époque. Nous vivons dans une telle peur du changement que nous devenons incapable de l’assumer et de l’engager. Nous vénérons tant ce qui a été fait par nos prédécesseurs que nous devenons esclaves de notre incapacité à adapter nos modes de gouvernance aux évolutions de notre temps.


Finalement, sur ce sujet, il n’est pas question pour nous de faire le meilleur choix, mais peut-être le moins pire. En agissant ainsi, nous sommes en plein dans l’air du temps de cette campagne, car pas si loin de la logique qui influera sur les électeurs au moment d’insérer un bulletin de vote dans l’urne le 10 avril prochain …


 
 
 

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