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#8 - LGV : rails de coqs

Photo du rédacteur: Jeremie GaillardJeremie Gaillard

La réalisation d’une future Ligne Grande Vitesse reliant Bordeaux à Toulouse, ou sans doute davantage Toulouse à Bordeaux, donnant ainsi à la capitale de l’Occitanie un accès plus rapide aussi à celle du pays, est un projet qui divise fortement le Sud-Ouest depuis plusieurs mois.


Quel que soit le camp que vous choisirez, celui de ses partisans ou de ses détracteurs, les arguments pour justifier chaque positionnement ne manquent pas. Les logiques économiques et écologiques s’entremêlent ou s’entrechoquent, fonction du côté où votre raison et votre cœur balancent. Cette nouvelle infrastructure est vue comme une réponse à un problème en moins pour certains, quand d’autres y voient au contraire un problème de plus dans un monde qui n’arrive déjà pas à solver tous ceux qui le malmènent.


Comme pour beaucoup de décisions et choix qui doivent être prises et faits, la nécessité, de manière générale, de remettre de la nuance en politique implique de considérer les intentions de tous louables et leurs convictions sincères. Avant de choisir son camp pour combattre, il est important de connaitre son adversaire. Et pour cela, il est important de comprendre l’autre, et donc d’entendre ce qu’il dit.


Néanmoins, dans la forme comme dans le fond, ce projet et les débats qu’ils suscitent sont le symbole de nombre d’errements contemporains.


Ils sont d’abord la résonnance d’une déconnexion réelle entre décideurs et population, toujours plus marquée par des décisions unilatérales prises sans concertation. Encore une fois, et comme trop souvent, ce projet longtemps enterré a été remis sur les rails à l’initiative de quelques personnes aux prérogatives fortes, notamment un ancien Premier Ministre et deux Présidents de Région concernés en premier lieu. Il nous ramène à ce triste constat que même dans notre démocratie survit ce terrible paradoxe qui veut que le destin de beaucoup reste dépendant des volontés de peu. L’actualité internationale, et la guerre en Ukraine plus particulièrement, nous le rappelle quant à elle chaque jour …


La crispation autour de la LGV est, avant même d’étudier les arguments de chacun, le résultat d’une incapacité de dialogue instaurée par une communication descendante, une fin de non-recevoir de la part des décideurs, et une stratégie visant à avancer rapidement pour étouffer toute opposition avant sa structuration. D’ailleurs, il serait intéressant de se questionner sur l’image saugrenue souvent véhiculée de l’opposant en France, qui vise à le décrédibiliser par un rendu caricatural de son égoïsme, de la limitation intellectuelle de ses arguments et de son incapacité à agir pour l’intérêt général, apanage bien entendu des seuls décisionnaires publics.


Malheureusement, cette logique du Blitzkrieg antidémocratique n’en est pas à son coup d’essai, et nombreuses sont les politiques menées ainsi. Ce n’est pas nouveau, c’est une certitude. Cela a de tout temps existé. On le trouve notamment au verset 49-3 de l'évangile républicain. Mais qu’il est insupportable de se retrouver face à ces discours condescendants diffusés à qui veut l’entendre et développant l’idée que d’autres savent mieux que quiconque ce qui est bon pour nous.


La crise de confiance actuelle du peuple envers ses représentants (matérialisée désormais à chaque élection par le marronnier journalistique qui traite de l’abstention) rend cette tactique extrêmement dévastatrice. Quand depuis des décennies vous cognez sur un mur, même si le dernier coup est celui qui finit par le faire tomber, vous devez affecter à ce résultat les multiples coups qui l’ont précédé car eux aussi ont concouru à l'oeuvre destructrice. Le choix qui a été fait pour la LGV Bordeaux / Toulouse de ne pas concerter, de ne pas écouter, de ne pas échanger, doit s’intégrer dans cette vision plus large qui englobent les errances de notre système démocratique. Trop nombreux sont les élus, souvent locaux, qui critiquent le système politique actuel sans se rendre compte qu’ils sont tout aussi responsables de la situation qu’ils décrivent. Derrière tout système se trouvent les hommes et les femmes qui le font fonctionner.


Nous rentrons là dans ce qui relève de la psychologie. Et cette LGV, parce qu’elle est aussi une affaire d’hommes et de femmes, n’échappe pas à cette règle. Cette infrastructure nourrit l’égo de certains élus bâtisseurs qui se voit tel de grands rois léguer à la France un héritage qui portera à jamais la marque de leur action. Dans la lecture que nous pourrions faire des décisions politiques, il ne faut jamais négliger la dimension personnelle qu’ils génèrent chez ceux qui les prennent.


Toujours d’un point de vue psychologique, le maintien d’une décision initiale rapide, pour ne pas dire précipitée, malgré des remises en question fortes du projet, tant d’un point de vue démocratique (opposition conséquente d’habitants ou d’élus) que budgétaire (financement partiel par la création d'un nouvel impôt, absence de financement européen comme prévu) met en perspective une autre cause de la faillite institutionnelle de la France et de ceux qui la gouvernent : l’incapacité à savoir renoncer.


Une expérience scientifique a prouvé que face aux conséquences d’un choix premier aboutissant à de mauvais résultats, le cerveau humain mettait en place différents mécanismes pour le contraindre à faire de nouveaux choix permettant de le conforter dans le fait que sa première décision était la bonne. C’est un peu comme un parieur addictif qui rejoue au casino, persuadé de se refaire. Ceux qui concourent à la mise en opérabilité de la LGV n’échappent pas selon moi à cette logique, non sans alimenter de surcroit les tensions qui ne feront que s’intensifier avec le temps et déboucheront assurément sur une radicalisation de l’opposition.


Mais la fragilisation démocratique n'est pas le seul aspect sur lequel le GPSO (Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest) déraille. Sur beaucoup d’autres, il est également le symbole des mouvances et ruptures de notre temps.


Tout d’abord, il questionne sur la stratégie d'une mobilité toujours plus rapide.


Il est vrai que l'aménagement des axes de communication et de transport a toujours été un levier fondamental pour le développement économique des pays et des empires, que ce soit dans la France d’après-guerre ou du Moyen-Âge, dans la Rome Antique, l’Egypte ou la Chine Ancienne. Pendant des siècles, il a favorisé leur essor.


Il me semble néanmoins qu’un point de rupture a été atteint dans le dernier quart du 20e siècle, à un moment où les facilités de mobilité ont commencé à engendrer des pertes qui n’étaient plus compensées par les gains créés. Dans la commune rurale de 1 200 habitants dont je suis le maire, cela s’est traduit par la disparition de nombreux commerces et l’aggravation du déplacement du centre de gravité de l’offre de travail vers de plus grandes villes. Cela n’a pu se faire qu’avec le développement d’une mobilité plus facile et accessible qui nous oblige aujourd’hui à lutter pour ne pas faire de nos territoires des communes-dortoirs. La mobilité telle qu'elle est conçue aujourd'hui permet le développement des grandes villes au détriment des territoires situés entre. Elle créé une nouvelle inégalité face au temps pour tous ceux qui en sont exclus.


La mobilité pose aussi la question de son impact environnemental. La responsabilité du transport est immense dans l’augmentation exponentielle des Émissions de Gaz à Effet de Serre (GES). Il est vrai que les défenseurs du GPSO indiquent, à juste titre, que cette ligne permettra d’absorber sur un mode de transport plus propre un nombre important de trajets aujourd’hui réalisés en voiture, en avion ou par camion. Malgré cela, il manque à cette fusée rhétorique l’étage qui oblige à rapprocher les habitants des réponses à leurs besoins. Sur la thématique de la gestion des déchets, avant d’améliorer les filières de tri et de recyclage, il serait assurément plus efficace de diminuer la production d’emballages et la mise sur le marché de futurs déchets à trier. Pour la mobilité, c'est un peu la même chose. Avant de réfléchir à son développement (car peu importe la solution retenue, le bilan carbone n’est jamais neutre), il conviendrait désormais de mener une politique ambitieuse et volontariste pour diminuer les déplacements, et développer des logiques économiques pérennes permettant aux habitants de chaque territoire de combler l’essentiel de leurs besoins en proximité.


Mon propos ici n’est nullement de remettre en question le progrès et d'y être réfractaire. Naturellement qu’il est nécessaire. Mon propos est davantage de réfléchir à la posture du progrès à tout prix, quel qu’il soit, quoi qu’il engendre. Nous ne pouvons nier aujourd’hui que notre manque de courage à savoir renoncer, refuser, dire non, résister à la tentation de faire, est une des causes principales du dérèglement climatique et de l’incapacité de plus en plus probable de la Terre d’accueillir la vie telle que nous la connaissons.


La future LGV est donc aussi le symbole de notre insuffisance à apprendre de nos erreurs et de leurs conséquences désastreuses, pour engager les changements indispensables à la survie de notre monde.


Pour faire un lien plus direct avec mon quotidien de maire, il semble qu’un parallèle intéressant peut être fait avec certaines manières de penser et d’agir, notamment les logiques budgétaires sur lesquelles nous restons arcboutés.


J’ai le sentiment que la pensée dominante dans nos mandats s'articule autour de la volonté de toujours dégager des marges d’investissement pour faire plus, et cela au détriment du budget de fonctionnement à qui revient la charge justement d’entretenir et faire fonctionner l’existant.


Le problème est que plus vous augmentez cet existant par de l’investissement, plus vous avez besoin du fonctionnement que vous essayez pourtant de rogner. Il y a là une contradiction qui, accentuée par la diminution des dotations de l’Etat, provoque désormais des constats qu’on ne peut nier. Combien de collectivités n’ont plus la capacité d’entretenir correctement les bâtiments, voiries, équipements, routes qui se sont démultipliés ? Combien de collectivités connaissent des difficultés pour mettre en adéquation leur masse salariale avec le volume d’interventions à réaliser ? Combien d’habitants se plaignent de supporter les répercussions d'un environnement toujours en travaux (donc de l’investissement) qui cohabite avec des rues sales et mal entretenues où l’on peine à remplacer le mobilier urbain usité ou endommagé ? Combien de collectivités se dotent d’infrastructures démesurément onéreuses qui finissent par peser lourd sur les finances publiques et le contribuable ?


On ne peut continuer à vouloir toujours faire plus avec moins.


Des exemples de ce type sont aujourd’hui légion dans nos collectivités, et sans doute serait-il temps, à l’image de notre planète que nous surexploitons, de revenir à la raison en prenant soin de ce que nous avons déjà (qui soit dit en passant à besoin d’investissement pour cela), et de prioriser les projets nouveaux en fonction des impératifs de notre temps, notamment la lutte contre le réchauffement climatique, la réduction des inégalités, ainsi que la consolidation de notre modèle social et identitaire.


Le GPSO est le symbole de cette dérive. Alors même qu’une ligne ferroviaire existe entre Toulouse et Bordeaux, l’Etat et les Régions privilégient à l’option de rénover l’existant une seconde possibilité qui vise à créer un nouveau tracé de 222 km entre les deux capitales régionales. Le résultat : des milliers d’hectares artificialisés, des millions de mètre cubes de remblais, de béton, de métaux, et une facture astronomique d’environ 15 milliards d’euros


Dans un monde où notre salut passe par la préservation de la nature, où l’extraction des matières premières défigure notre planète, où l’argent public manque pour la Santé, l’Education, la Justice, la Sécurité, comment peut-on continuer à penser ainsi ?


Notre maison brûle comme le veut désormais l'adage, mais nous ne faisons pas que regarder ailleurs. Nous alimentons le brasier …



Le GPSO est le symbole de l’impérative nécessité de repenser notre modèle, car dans ce conflit s’affrontent aussi deux visions du monde de demain.


Pendant très longtemps, le « Nouveau monde » était construit par ceux qui avaient la capacité de faire. Il me semble qu’aujourd’hui, la situation catastrophique de notre planète impose que le « Nouveau monde » soit représenté par ceux qui décident aussi parfois de ne pas faire …


 
 
 

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