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#4 - Papaoutai

Photo du rédacteur: Jeremie GaillardJeremie Gaillard

Comment concilier les obligations d’un mandat et celles de la vie familiale ?


Les réponses à cette question sont rarement développées par les élus. Elles peuvent mettre en lumière des explications perçues alors comme des difficultés qui, caricaturées en lamentations ou en complaintes par ceux qui ont l’insuffisance intellectuelle de franchir ce pas, sont en contradiction avec la volonté de départ.


L’évoquer, c’est prendre le risque de se mettre en contradiction avec la vision collective imposée par notre Ve République d’un chef inébranlable, fortement basée sur la concentration du pouvoir dans les mains de celui pour qui l'électeur vote. Pire, c’est prendre le risque que cela soit utilisé par les plus bas instincts de ceux qui convoitent la place du Calife.


L’évoquer, c’est sous-entendre aussi que nous ne sommes pas dédiés de manière pleine et entière à notre mandat. C’est prendre le risque de mettre en lumière l’existence pour un élu de temps de plaisir personnel, déconnectés des difficultés du monde dans lequel il a choisi pourtant de s’engager pour les défaire. Cela exige d'être confiant dans la capacité de nos concitoyens à prendre un peu de recul sur un aspect finalement si évident de la vie de chacun. Mais en fait-on tant preuve dans notre société et à notre époque ?


C’est pourtant un sujet éminemment important. Quelques mois avant les élections municipales de 2020, un sondage du Sénat indiquait qu’un quart des élus locaux envisageaient de quitter la politique du fait du temps accordé à la politique au détriment de la famille ou du travail.


Le sentiment est mal vu en France, souvent assimilé à une forme de faiblesse. Pourtant, c’est justement cette sensibilité qui fait toute la qualité d’un bon dirigeant. Si nous privilégions notre lecture des hommes politiques au travers du critère émotionnel plutôt que du quotient intellectuel, je suis fermement convaincu que nous vivrions dans un monde bien différent.


Dans cette logique de personnification très française du pouvoir, il est un élément de compréhension important des individus en responsabilité. Nous votons d’abord pour un Homme ou une Femme qui fait le programme plus que l’inverse dans notre pays. Il est donc fondamental de comprendre cet aspect qui forme aussi le socle des valeurs, des expériences et du parcours de vie menant à être ce que nous sommes, et à nous engager dans des idéologies qui correspondent. C’est une clef de compréhension indispensable souvent développée a posteriori dans les biographies qui sonnent les fins de carrières des grands hommes.


De mon côté, sans cette prétention ni ambition, je n’ai pas peur de parler des difficultés de la fonction de maire que j’exerce, de mes états d’âmes, des moments de doute qui succèdent à la satisfaction, du courant alternatif sur lequel sont branchées nos journées, des joies et des peines, des moments incroyablement forts, dans un sens comme dans un autre, qui jalonnent le temps du mandat.


Je justifie aussi la création de ce modeste blog à une volonté presque thérapeutique de parler des difficultés psychologiques qu’imposent cette position. La pudeur oblige à un équilibre complexe pour conserver la dignité de nos fonctions, mais je crois nécessaire une transparence nouvelle afin de contrecarrer le phénomène d’éloignement entre élus et électeurs, alimenté en partie par l’incapacité de nos systèmes législatifs et judiciaires à éradiquer nombre d’errements. C’est avec cette volonté, tout autant que la nécessité d’apporter des éléments de réponse à ceux qui hésiteraient dans leur engagement à cause de cela, que je parle de cet aspect si personnel de mon expérience actuelle.

Allier vie de famille et mandat de maire n’est pas chose aisée. Autant le dire tout de suite. Cette imbrication demande en premier lieu un consensus familial. Quatre mois avant les élections municipales de 2020, j’étais loin de m’imaginer revêtir le costume de maire de la commune dans laquelle j’étais installé depuis deux ans. Dire que je n’ai pas saisi l’opportunité qui s’est présentée serait mentir, mais ce n’était pas un plan de carrière préétabli. Avec quatre enfants de moins de 9 ans à l’époque, et une conception très exigeante de mes responsabilités de père, me présenter en tant que tête de liste ne pouvait être rien d’autre qu’un choix partagé par ma famille. Sans son approbation, je n’y serais pas allé.


Allier vie de famille et mandat de maire n’est pas chose aisée. Quand vos enfants sont jeunes, cela demande encore plus d’organisation, d’anticipation et d’efforts. Les journées sont souvent complexes, denses, fatigantes. L’agenda est votre meilleur allié : crèche, mairie, rendez-vous médical, mairie, début entrainement de foot, mairie, fin entrainement de foot, douches, devoirs, repas, réunion mairie …

Aller, partir, revenir, retourner, rentrer, repartir … sont autant de mots qui rythment le quotidien.


Allier vie de famille et mandat de maire n’est pas chose aisée, car les conséquences de l’exposition publique peuvent aussi affecter les enfants. Je dis toujours aux miens qu’à l’école, ils ne sont pas les enfants du maire, mais bien ceux de leur père. Et même si ce n’est pas aussi évident pour leurs camarades, je m’évertue à essayer de maitriser ce qui est de mon domaine de compétence de parent.

Il y a néanmoins toujours l’inquiétude qu’un camarade actionne le levier du père pour les atteindre. Nous savons que les enfants peuvent se montrer durs et cruels entre eux. Il y a toujours une inquiétude sur ces critiques qui pourraient leur faire de la peine.

Mon mandat les oblige autant à s’endurcir qu’à s’intéresser aux autres. Ils vivent, à moindre échelle, des nécessités qui sont également les miennes.


Allier vie de famille et mandat de maire n’est pas chose aisée. Il faut continuellement lutter contre ce sentiment de culpabilité qui ne me quitte guère. Malgré les meilleures volontés d’optimisation du planning, ce dernier réclame de faire des choix, de prioriser, de sacrifier certains moments familiaux au profit de la collectivité.

Le temps ne se rattrape pas. Cet aspect est complexe à gérer. Il est toujours difficile et accusatoire de devoir repartir entre le fromage et le dessert, avec ces yeux de chat potté qui vous accompagnent jusqu'à la porte.


Allier vie de famille et mandat de maire n’est pas chose aisée. Mais cela a quand même quelques avantages.

Je suis convaincu qu’indirectement, ma fonction de maire leur apporte beaucoup dans leur construction personnelle, surtout à un âge aussi formateur. Ils s’interrogent, questionnent, y réfléchissent. Il y a dans la tête de chaque enfant un cerveau qui fourmille.


- Tu fais quoi à la mairie ?

Si quelqu’un à une réponse qui n’entraine pas une multitude de pourquoi derrière, je suis preneur.

- C’est vrai que c’est toi qui décides ce qu’on mange à la cantine ?

Toujours répondre non à cette question perfide, sauf si c’est le jour des frites.

- Pourquoi les gilets jaunes manifestent ?

La discussion est alors bien plus constructive et apaisée que celle des plateaux télé.


Je sais également que ma qualité de maire leur a permis de profiter de temps de sociabilité dont ils n’auraient pas forcément bénéficié sans. Le marché hebdomadaire que nous avons lancé dans notre commune le dimanche matin en est dans mon expérience personnelle le meilleur exemple. Mes enfants adorent y aller, et cela me permet de contenter en un même temps et un même espace deux aspects de ma vie. Il est important, quand cela est possible, de choisir des activités qui permettent de concilier obligations de représentation et obligations familiales.


Allier vie de famille et mandat de maire n’est pas chose aisée. Cette complémentarité n’est en effet pas exclusive. Elle cohabite avec beaucoup d’autres dans ce qui constitue le complexe équilibre entre l’ensemble des mouvements qui permettent à un individu de se construire. Un homme ou une femme est toujours multiple. Je suis père, maire, mari, actif, sportif, … et il convient de travailler sur l’ensemble des piliers de son moi intérieur pour consolider l’ensemble.

Mon cheminement personnel passe inévitablement aujourd’hui par ce rôle de maire qui m’apporte énormément, mais il ne peut pas être le seul, au risque sinon, en cas de coup dur, de mettre en péril de manière trop forte tout le reste. De la même manière, le père que je suis ne peut être épanoui s’il ne l’est pas aussi dans son accomplissement propre.


Allier vie de famille et mandat de maire n’est pas chose aisée. Cette contrariété a néanmoins un intérêt dans la relation que j’entretiens avec le pouvoir. Elle agit comme un vent contraire face à la tentation qui pourrait être la mienne [car elle a été celle de tant d’autres auparavant] de m’accrocher à des mandats pour de mauvaises raisons. Elle me permet de toujours me dire que si je devais ne plus être élu, cela signifierait aussi retrouver davantage de temps pour ma famille.

Si je décidais de continuer dans quelques années, il y aurait inévitablement une question dont la réponse aurait plus d’importance que les autres, celle de savoir si elle le souhaite.


J’ai toujours considéré que la valeur d’un homme pouvait se définir à la manière dont il se comporte quand le pouvoir lui était confié. Encore plus quand les enfants sont jeunes, l’innocence qui est la leur, et que je côtoie au quotidien, me ramène à mes responsabilités et aux obligations de résultats qui doivent être les miennes.



Peut-être qu’un jour mes enfants liront ces quelques lignes, et comprendront mieux les nombreux repas passés sans leur père, les absences à certains couchers, la fatigue du soir qui amoindrissait parfois mon envie de répondre positivement à leurs sollicitations.

Peut-être qu’ils ne se diront rien de tout cela (je ne peux que l’espérer), parce qu’ils auront la maturité de comprendre que les effets préjudiciables d’un mandat sur la vie de famille sont contrebalancés, à proportion variable, par certains plus positifs ; et que la vie permet rarement une lecture simple du monde.


Au final, je me demande bien s’ils comprendront que leur fierté d’avoir un papa maire n’est pas grand-chose à côté de la mienne de les avoir vu gérer aussi courageusement et positivement tout cela.




 
 
 

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