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#9 - Espèce de … voisin !

Photo du rédacteur: Jeremie GaillardJeremie Gaillard

La trêve hivernale, période durant laquelle les procédures d’expulsion des locataires ne payant pas leurs loyers est suspendue, s’est terminée le 31 mars dernier.


Avec l’expérience de trois années de mandat, il convient de constater que le logement n’est pas le seul domaine dans lequel le climat peut agir sur le temps politique. En effet, l’entrée dans le printemps marque aussi, pour les élus communaux, une reprise d’activité sur certains domaines de leur périmètre d’action, dont notamment celui de l’interventionnisme en matière de conflits de voisinage.


Avec l’arrivée du redoux et d’un temps clément, toujours plus précoces sous l’effet du réchauffement climatique, les maires et leurs équipes se retrouvent en effet à nouveau sollicités de manière appuyée pour régler les nombreux litiges qui peuvent rythmer la vie d’une commune.


Les températures s’adoucissent, favorisant les apéros bruyants qui s’éternisent bien après le coucher du soleil. Les fenêtres restent ouvertes la nuit pour apporter un peu de fraîcheur dans les chambres, rendant plus audibles les aboiements répétés des chiens dans la rue. L’herbe se remet à pousser, faisant craindre aux propriétaires vivant à proximité de parcelles non entretenues la prolifération de nuisibles. Les haies également redémarrent leur croissance, reprenant la dangereuse invasion des grillages et clôtures. Les arbres pointent à nouveau le bout de leurs feuilles, laissant craindre un ensoleillement insuffisant pour l’exposition de la maison d’a côté. Le chant du coq devient lui plus matinal, augmentant le risque de mots grossiers de bon matin autant qu’il diminue le sommeil de celui qui les profèrent. L’odeur incommodante du barbecue allumé en pied d’immeuble peut aussi engendrer quelques beaux esclandres, tout comme les velléités de sorties tardives d’une partie de la jeunesse qui déambulent dans les rues, parfois à la recherche de la bêtise (pour rester paternaliste et courtois …) à faire dans un des travers de l’effet de groupe.


Cette liste est loin d’être exhaustive à ces situations printanières et estivales, tant la complexe alchimie de la vie en société ne peut se limiter à une question de saisons. Néanmoins, le démarrage du mois d’avril marque incontestablement une accélération des sollicitations d’administrés sur des problématiques de voisinage.


Elles sont variées, parfois surprenantes, à l’image de ce que l’esprit humain peut produire dans sa complexité, et constamment teintées d’une forme de subjectivité qui ne fait pas toujours bon ménage avec la factualité sur laquelle s’appuient nos actes, paroles et décisions.


S’il appartient naturellement aux élus locaux, dans une logique de proximité, de connaissance des habitants et de responsabilités, d’agir en qualité d’abord de médiateur, puis si nécessaire, quand cela est possible, de détenteur d’un pouvoir de police, la mission n’est pas des plus simples à mener, et rarement sans risques tant elle se heurte à de nombreux obstacles.


En premier lieu : l’individualisation de la pensée. Dans une logique de sanctuarisation de la liberté individuelle au détriment des libertés collectives, la population développe une constance dans la transposition de sa propre conception de l’admissible et du réalisable à l’ensemble de l’environnement dans lequel elle interagit avec les autres. Il est fréquent que les désagréments créés soient minimisés par ceux qui les produisent, avec parfois une sincérité dans la démarche intellectuelle qui menace le devenir du sentiment citoyen d’appartenance à un projet collectif. A partir du moment où la méconnaissance de la règlementation qui régit le bruit, la pousse des végétaux ou ce qui est autorisé sur l’espace public, construit un amas hétéroclite de visions disparates qui finit par former les fondations fragiles du socle des relations humaines, il devient compliqué pour les élus locaux de se contenter de pédagogie pour remodeler des jugements construits sur de nombreuses années.


La médiation sur les conflits de voisinage est également complexe dans un contexte de déclin du principe d’autorité. Le maire, comme d’autres élus, pâtit de ce phénomène dont il se sent souvent plus victime que responsable, tant la défiance envers le monde politique se joue à d’autres échelles que la sienne. Mais si la théorie du ruissellement reste très contestable sur le plan économique, elle semble l’être bien moins concernant les effets du manque de moralisation de la vie politique française sur le dernier échelon de la pyramide de la décision publique. A plusieurs reprises, il m’est arrivé d’être confronté à cette provocation qui cache finalement une triste réalité : « T’es le maire. Mais qu’est ce que tu vas faire ?! ».


Et nous touchons un autre aspect complexe de la gestion des conflits entre voisins. Très souvent, pour ne pas dire la plupart du temps, il s’agit de litiges d’ordre privé, qui n’ont pas d’impact sur l’espace public, et qui limitent donc les possibilités d’actions des élus. Notre rôle premier est d’agir en qualité de médiateur, non de rendre justice. Nous écoutons, faisons le plus souvent appel à un appui juridique pour argumenter au mieux auprès des protagonistes sur la règlementation ainsi que les droits et obligations de chacun. Nous conseillons, tentons d’éviter un renvoi vers le conciliateur de justice ou pire, vers une procédure judiciaire longue et difficilement compatible avec la volonté d’apaisement qui nous anime. C’est un jeu d’équilibriste dans lequel le filet n’est pas toujours tendu sous la corde … Heureusement, très souvent, l’intervention d’un élu local finit par permettre la définition des contours d’une solution acceptable pour les deux parties.


La multiplication des médiations pour les élus locaux est autant le symbole d’un accroissement de la tension dans notre société, même dans les communes pourtant moins denses du monde rural, que des lacunes de l’Etat dans ses missions régaliennes pour maintenir l’unité du pays. L’augmentation et la judiciarisation des litiges est aussi le résultat d’un manque d’appropriation de l’esprit civique (pendant l’enfance et plus tard), de l’insuffisance des forces de l’ordre pour couvrir les besoins de nos territoires, et de l’incapacité de la justice à se montrer efficace dans les délais de traitement des affaires. Dans le domaine de la tranquillité publique, le manque de moyens des gendarmes en zones rurales oblige à faire une sélection, à prioriser les interventions, qui de manière insidieuse tolère puis normalise des comportements qui sont pourtant répréhensibles. C’est très regrettable, car l’effet d’un uniforme a souvent plus de poids que le costume du maire pour régler certaines situations. D’un point de vue judiciaire, la temporalité des rendus de jugement accentue elle les tensions par l’immobilisme qu’elle engendre.


Tout cela concoure à fragiliser la position des maires qui, comme souvent, en qualité de dernier maillon de la chaîne et élus de proximité, sont tenus responsables de situations sur laquelle ils ont finalement bien peu les moyens d’agir.


La difficulté d’intervenir dans ce cadre précis pour un maire est qu’il prend le risque important de ne faire que des mécontents. La vérité se trouve souvent autour d’un point d’équilibre imparfait qui ne convient véritablement à personne, car demandant à chaque partie des concessions. Et notre société, de moins en moins tolérante, vit de plus en plus difficilement avec ce principe. Le requérant regrettera l’incapacité de résoudre son problème dans la projection qu’il s’en était fait, ou bien regrettera le délai long de mise en œuvre de la solution. De l’autre côté, l’habitant sollicité appréciera rarement de recevoir une visite, un appel ou un courrier du maire de sa commune lui intimant la nécessité d’agir. Là où l’ego est froissé, rien de bon ne ressort généralement. La médiation oblige donc à faire le sacrifice de son image et de ses intérêts personnels au profit du bien public.


La fragilisation du maire se retrouve également dans le manque de moyens humains et financiers dont il dispose pour assumer, dans son propre champ d’intervention, ses responsabilités. Les élus locaux, avec des budgets contraints et des masses salariales à maitriser, sont eux aussi soumis à des choix qui retardent leurs actions et potentiellement égratignent l’exemplarité qui devrait être la leur avant de demander à d’autres de respecter leurs devoirs.


J’ai parfois la sensation regrettable que dans les décennies précédentes, la fonction de maire était plus équilibrée dans son rapport entre les avantages et les inconvénients du poste. Le premier magistrat devait toujours agir pour assurer la concorde républicaine au sein de sa population, avec les inconvénients précédemment décris. Mais il avait aussi davantage de moyens pour agir sur l’espace public, pour répondre favorablement aux sollicitations de sa population, pour réaliser des travaux d’amélioration de ses rues, bâtiments, espaces publics, services ... Un juste équilibre pouvait se créer dans l’esprit des administrés, et ainsi favoriser le développement d’une forme de dissonance cognitive indispensable pour contrebalancer la compréhension de son action.


Malheureusement, dans un monde qui pâtit d’un manque de nuance propice à la simplification de la pensée et donc favorable aux extrêmes, il faut craindre que la situation ne s’améliore pas dans les prochaines années.


Sans doute faut-il y voir une des raisons de l’augmentation inquiétante, depuis maintenant presque une décennie, des démissions de ces élus locaux qui prennent régulièrement le pouls de la société et ne comprennent que trop bien que ce dernier s’accélère dangereusement …




 
 
 

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